lundi 21 janvier 2013

En tant que lesbienne, et doublement en tant que fille, j’ai l’impression que mon intelligence et mon intégrité d’esprit sont insultées plusieurs fois par jour.

J’ai 29 ans et j’ai mis longtemps à admettre que j’étais lesbienne car j’avais tellement intégré les clichés sur les lesbiennes qui soit-disant ressemblent à ceci ou cela, que je me disais ‘Ben non, je ne peux pas être lesbienne en étant si féminine’.
Je pensais juste que j’avais un problème avec les hommes, alors je me suis mise en psychanalyse avec un type qui me sortait des propos vieux d'un siècle sur les homos qui n'auraient pas bien réussi leur Oedipe.
J’ai donc longtemps eu des préjugés contre moi-même à cause de tous les stéréotypes dont on nous abreuve de tous bords, qui ont un effet bien plus néfaste que l'on croit.
Je pense que j‘ai aussi passé pas mal de temps à me convaincre que j'étais hétéro car je ne voulais pas qu’on me désigne par ‘le mot en L’.
J’ai encore un peu de mal avec le mot ‘lesbienne’, toujours très connoté négativement.
Je ne connais pas beaucoup de lesbiennes qui aiment ce mot, et les gens ont tendance a l’éviter, à lui préférer des périphrases.
Dans ma famille par exemple, personne ne l'a jamais prononcé pour parler de moi, alors que tout le monde le pense très fort, mais pour eux ça sonne encore comme un nom de maladie.
C’est pourquoi j’ai écrit mon mémoire de recherche sur les représentations médiatiques des lesbiennes, juste pour faire raisonner ce mot devant un jury de la Sorbonne.
C'était libérateur de pouvoir dire et écrire dans un contexte universitaire "Je suis lesbienne".
Je suis en couple depuis trois ans avec une Grecque, et autant dire que le pays de Sappho était socialement plus avancé à l’Antiquité qu'aujourd'hui.
Quand on voit la situation actuelle des homosexuels, on a du mal à imaginer que Sappho n’a pas particulièrement fait scandale de son vivant.
La génération d’avant n’est pour la plupart pas sortie du placard, du coup cette génération ne le fait pas non plus par déférence pour l’ordre familial.
L’hypocrisie est de mise, selon l’argument que l’on entend pas mal ces temps-ci qu’un bon homosexuel est un homosexuel discret, que la visibilité n’est pas nécessaire et qu’on peut très bien vivre caché en fermant sa gueule.
Mais je fais l’expérience qu’une relation amoureuse qui veut s’installer dans la pérennité, après la période d’incubation fusionnelle, a besoin pour exister de bâtir des ponts avec le monde extérieur. C’est aussi cela qui nous fait exister en tant que couple.
Je pense que sans la pleine reconnaissance du monde extérieur, d’abord celle de nos familles et nos amis, puis celle de la société, sorte de 'miroir' structurant, on ne peut pas évoluer en tant que couple légitime, on reste confiné sur notre île.
Je vis donc avec une fille qui fait croire à ses parents que je suis un garçon.
Elle leur raconte notre vie telle qu’elle est, sauf qu’elle remplace ‘elle’ par ‘il’.
Quand ses parents sont venus lui rendre visite chez nous, j’ai du disparaitre.
Non seulement moi, mais aussi toutes mes affaires. On a aseptisé ma maison de toute trace de mon existence.
Mes amis ne comprennent pas pourquoi j’accepte ça, mais j’estime que le coming out est une chose vraiment intime, personne ne doit nous forcer ou nous dire quand ou comment.
Inutile de préciser cependant qu’à cause des circonstances extérieures, mon couple vacille sans arrêt.
La soeur de ma copine a mis deux ans à accepter de me rencontrer.
Quand elle m’a enfin vue, j’ai senti qu’elle me regardait à la dérobée, elle n’osait pas fixer mon regard, c’était un sentiment très particulier de sentir le poids de son fantasme sur les personnes ‘contre-nature’.
Elle avait du mal à s'approcher de moi, je n'arrive pas à comprendre ce qu'elle croyait à mon sujet.
A mon avis, la virulence du débat actuel montre combien les opposants au mariage nagent encore en plein fantasme.
On sent à quel point ils veulent que les gays soient cantonnés à des pratiques sulfureuses.
Je trouve qu’on ne parle pas beaucoup de cet aspect dans le débat, qui à mon sens est central: le poids de ‘l’interdit’ sexuel sur l’imaginaire collectif.
J’ai lu le commentaire d’un type sur un forum qui disait très finement que ‘quand tout le monde sera devenu gay et se foutra divers objets dans le cul, ce sera la fin de l’humanité’.
Nous y voilà, le coeur du problème, c’est ce que les gays font avec leur cul.
Je trouve que le plus insupportable dans le débat actuel, et aussi en général dans ma vie de personne homosexuelle, c’est que les gens remettent toujours en question ma faculté de jugement.
Si je suis homosexuelle, c’est parce que j’ai un problème que je ne sais pas identifier, mais qu’eux isolent au premier coup d’oeil avec toute leur science.
Tous ces gens sortis de nulle part qui savent mieux que moi.
Comment les détracteurs du mariage gay peuvent-ils croire qu’on ne s’est pas posé avant eux et à longueur de journée pendant des années les questions qu’ils croient avoir inventées?
Comment peuvent-ils croire que l’ambition d’une vie ‘normale’ est un caprice, sans que l’on se soit posé mille fois les questions du comment et du pourquoi, et que l’on se soit maintes fois analysés beaucoup mieux qu’eux?
En tant que lesbienne, et doublement en tant que fille, j’ai l’impression que mon intelligence et mon intégrité d’esprit sont insultées plusieurs fois par jour.
Ma plus grosse difficulté aujourd’hui, en dehors de la condescendance, est de ne pas pouvoir me projeter dans l’avenir, de ne pas pouvoir faire de projets de vie parce que je ne sais jamais quand le monde extérieur aura raison de ma vie personnelle.
Un couple de filles demeure une entité socialement très fragile, surtout dans les moments extrêmes de la vie.
J’ai rencontré une femme qui témoignait que quand sa compagne est morte, la famille a demandé qu’on ne la mentionne pas à l’Eglise, et elle a dû se battre pour que son nom apparaisse sur le certificat de décès.
Au quotidien, être lesbienne est plus ou moins gérable, mais il y a toujours au-dessus de nous l'épée de Damoclès des situations extrêmes où les familles sont très rarement du côté de la compagne.
Je sais que le mariage pour tous finira par passer, et que la question des enfants finira par rentrer dans les moeurs, même si visiblement il faudra le faire rentrer de force dans le crâne de certains. Quand on voit le tollé qu’a provoqué le PACS il y a 13 ans, et que maintenant tous les anti-mariage trouvent ça formidable et l'utilisent comme argument contre les homos (en disant qu'on leur a accordé ça et qu'ils n'ont pas besoin de plus), il me semble évident que le mariage pour tous suivra le même chemin, mais au lieu que cela se fasse simplement, il faut se battre bec et ongle pour le moindre pas en avant.
Le déferlement de propos haineux et orduriers qui fleurissent chaque jour dans les médias m’a fait réaliser combien, pour beaucoup de gens, je suis une citoyenne de seconde zone dans mon propre pays.
Je savais que tout n’était pas gagné, mais je ne me doutais pas qu’en France on en était à un tel niveau de bêtise et d’ignorance crasse.
Je pense que pour la jeune génération d'homosexuels qui est en train de se structurer et qui a toute sa vie personnelle et sociale à construire, c'est très démoralisant d'assister à tout ça.
J'ai confiance que les choses évolueront, mais je ne sais pas si de mon vivant on me foutra la paix avec ça."
Soline

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