Voilà dix ans que nous nous aimons.
Nous avons construit une vie
d'aucunEs jugeront hétéronormée parce qu'ils/elles ne se rendent pas
compte de ce que c'est, une vie de couple hétéronormée.
Notre désir d'enfant est profond, le
désir d'élever et d'éduquer un être autonome, responsable, citoyen
éveillé de demain, le désir d'aimer un enfant.
Il me semble que c'est ce qui compte
le plus, pour un enfant, d'être aimé. Nous venons de deux familles
aimantes et qui nous soutiennent, chacune à leur manière, dans cette
longue marche vers la parenté.
Car oui, nous ne sommes pas stériles
et nous voulons procréer un enfant, et nous voulons que cet enfant ait
des droits, les mêmes que ceux de ces petits camarades de classe plus
tard, le droit de dire : « Voilà mes parents ! ».
Je veux être sûre de pouvoir veiller
sur lui quoiqu'il arrive même s'il n'est pas de mon sang, de mes gênes,
parce que je l'aime, que je suis sa mère, quel autre mot utiliser.
Depuis treize ans maintenant, on me confie des enfants pour les éduquer et leur transmettre des savoirs.
Je suis estimée par mes élèves, par leurs parents, par mon administration, par mes autorités de tutelle, par mon inspection.
Ces apprenants en formation passent presque plus de temps avec moi qu'avec leur famille.
Mais je n'ai pas le droit d'être
mère pour des raisons obscures, « morales » (car quelles vertu et morale
accorder à des personnes capables de tant de violence, de tant de
propos haineux, de tant de grossièreté, à se demander ce qu'elles
peuvent, ou doivent, transmettre aux enfants), religieuses.
Mon père m'a toujours dit que les
parents ne sont pas forcément les géniteurs/trices mais ceux et celles
qui « paient les galoches », qui nourrissent, qui aiment, qui suivent,
qui élèvent, qui éduquent.
Le débat pour l'égalité des droits
est aussi celui des familles monoparentales, recomposées, ou de toutes
celles où les parents ne sont pas mariéEs. J'attends de mes amiEs
hétérosexuelLEs qu'ils/elles se manifestent, avec nous.
Je veux, comme eux/elles, pouvoir aller chercher mon enfant à l'école sans avoir à justifier de qui je suis pour lui.
Le débat pour l'égalité des droits
est aussi un combat féministe qui met en évidence la domination
masculine au sein du couple hétérosexuel et une répartition plus
égalitaire et solidaire des tâches dans le couple homosexuel, qu'on le
veuille ou non.
C'est reconnaître qu'être parent
n'est pas inné mais construit et que cela est difficile pour tout le
monde... mais qu'il est abberrant de voir des jeunes filles de quinze
ans enceintes sans l'avoir souhaité, sans même savoir comment cela est
arrivé, car nous savons déjà ce que cette misère sociale et culturelle
risque de provoquer chez les enfants à venir.
Chaque jour, dans mon métier, et
sans avoir besoin des études sociologiques qui viennent conforter ce que
nous constatons, je vois parfois, trop souvent, des enfants
malheureux/ses, frappéEs, violéEs ou simplement abandonnéEs à leur
vacuité, jamais sollicitéEs intellectuellement, jamais entenduEs ni même
écoutéEs, en échec scolaire, en détestation d'eux/elles-mêmes, et qui
ont « un papa et une maman ».
Le débat pour l'égalité des droits
est celui de l'amour contre le préjugé. Nous allons depuis 2010 en
Catalogne pour concrétiser notre désir d'enfant, et chaque fois c'est la
même honte de constater que les droits des femmes et des homosexuelLEs y
sont mieux respectés, plus nombreux, qu'en France.
La France est-elle vraiment un pays
laïc, la France est-elle vraiment le pays qu'elle prétend être alors
qu'elle n'assume pas le progrès social, moral ?
A entendre les insultes dont je
suis la victime, en ce moment, en tant que lesbienne et en tant que
femme, en tant que citoyenne, en tant que fonctionnaire d'Etat, je me
dis que peut-être il est temps de devenir catalane...
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